La TNT, un tracas pour les télévisions de RDC

On pourrait facilement la qualifier d’« ennemie commune à toutes les télévisions congolaises », la TNT, Télévision numérique terrestre. Admise depuis 2006 par le gouvernement, la TNT arrive alors que presque personne ne l’attend : déjà le 17 juin 2015. C’est˗à˗dire, en principe à cette date, la RDC arrête la télévision analogique, mais sans l’arrêter. Elle sera là sans être là !
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Photo M3 Didier, 2013.
L’annonce de la fin de la télévision analogique a eu l’effet d’une petite bombe en milieux urbains, principalement à Kinshasa et à Lubumbashi où le taux de pénétration  (et partant, de la consommation) des téléviseurs est le plus fort du pays. Les autorités ont dû finalement, en retard, concevoir un message d’apaisement par des comédiens. Dieu seul sait si les masses le pigent. Une chose au moins est sûre : pouvoir, médias et journalistes, et la communauté des consommateurs des médias sont dans l’embarras. Le ministre des médias est revenu, avec un autre discours, annonçant un basculement progressif vers le numérique. Et donc, la TNT attendra dehors, tant pis s’il pleut, le temps que l’ramasse ses clics et ses clacs. Hélas, ça risque de prendre du temps ; et c’est en deux étapes : d’abord jusque décembre 2015, c’est d’ici là, comme obtenu des Etats de la sous-région où seul le Rwanda a complètement fini sa numérisation. Ensuite, jusqu’en 2020, et on ne parlera plus que de la TNT.

Le tracas du gouvernement
La RDC parle de la TNT voici seulement deux ans alors que le protocole de Genève a été signé en 2006. En 10 ans, le pays n’a pratiquement rien commencé. Pas même des lois. Mais ce n’est sans doute pas le seul en retard sur le continent ! Sa charge elle, est grande. Pas moins de 515 millions de dollars américains sont proposés par l’entreprise de télédistribution chinoise Star Times, des prêts à 2% d’intérêt des banques chinoises, remboursables jusqu’en 2020, pour cette métamorphose qui ne promet pas de révolution médiatique. Cela ne concerne que l’infrastructure de base et la numérisation de la télévision officielle : 1 + 12 chaînes nationales à éclater en 26 pour les provinces à naître. Plus de 70 télévisions privées devront se débrouiller ou fermer. Pas de promesse de prêt de la part du gouvernement lui-même en attendant plusieurs de ses partenaires. Bref, on n’en est qu’au balbutiement de l’ère TNT.
Les privés menacent de fermer
Pour les privés, la TNT n’est pas comprise. Même après explications claires et assimilation de l’ABCD. La sensibilisation effective n’a commencé qu’en mai 2015 à Kinshasa, à Matadi a atteint Lubumbashi en début de juin 2015. La commission ad hoc elle-même a été mise en place seulement le 13 septembre 2014. En décrétant l’interdiction de « tout trafic de téléviseurs analogiques », le ministre des médias n’a pas dit aux télévisions qu’elles vont renouveler leurs matériels et que cela coûte très cher. Déjà le matériel analogique est prohibitif pour des médias qui ne vivent que de publicité moins développée et moins salée. Pour des responsables des médias, généralement des politiques en quête de publicité et propagande, renouveler du matériel par ce temps préélectoral qui court est chose difficile. Certains envisagent de fermer. Craignant pour leur emploi et n’y comprenant goutte, des journalistes ont renforcé le flux de rumeurs sur la TNT. Dans l’hypothèse où certains médias devraient rendre payants leurs contenus, un renouvellement du personnel et de l’approche même de l’information s’impose. Quoi qu’il en soit, des gens vont partir.
Le public inquiet
Le ministre Mende au cours d'une émission à Kinshasa. @MinMEDIAS_RDC
Pour le public moins favorisé (pauvre), payer pour la consommation des médias étant écarté par le pouvoir public à propos des médias officiels, la TNT dérange en ce qu’elle les oblige à abandonner les téléviseurs analogiques pour les LCD. Le plus simple est vendu à 150 USD. Il faut plusieurs mois de privation pour un enseignant, par exemple pour se l’offrir. Sans doute, des décodeurs vont permettre de contourner cette difficulté et garder les téléviseurs analogiques. Mais en plus, ils risquent d’être privés des médias privés qui les intéressent et qui seront tenté de rendre payants certains programmes. La fin de la Tv gratuite ne plaît pas.
L’heure de vérité : vivre ou disparaître
Déjà la télévision publique est en perte de vitesse depuis l’arrivée des privées, ouvertes à la critique, à la concurrence et plus proches du public jeune par leurs programmations. Mais globalement, les télévisions congolaises souffrent d’une maladie presque congénitale pour être des créations des politiques avides de publicités, et ne dépendre que des ressources publicitaires. Sans budget pour un travail de terrain et à fond, et les reportages ont tendance à être institutionnalisés ; difficile en plus d’établir des limites entre communication et information journalistique. L’heure des interrogations a sonné : faire payer ou non la consommation des médias locaux en RDC. Si oui, quoi proposer qui soit payable ? Que des programmes soient payants ou non  en RDC, la TNT devra peut-être stimuler de nouvelles programmations. La pression des bouquets satellitaires n’augure rien de bon pour l’avenir de la télévision congolaise en terre de concurrence. Accessibles déjà à 2 dollars la chaîne, pour un mois, même les moins nantis attendent le jour où ils s’offriront cet attribut d’un certain bien-être social !
Question des contenus
Même des séries locales ne sont pas encore produites de manières à alimenter régulièrement les télévisions locales. Plusieurs télévisions copient des films et séries sur des chaînes cryptées ou les téléchargent sur internet. La TNT sonnera alors le glas de cette période de télévision sans norme et à peu près ignorant droit d’auteur, droit de diffusion, crédit photo, … et parfois même citer les sources. Alors certaines télévisions resteront vides de programmes intéressants ou courront le risque d’être poursuivi par des diffuseurs et producteurs des contenus occidentaux. Et donc, en ultime conséquence, elles resteront moins sollicitées par les congolais eux-mêmes alors que la consommation des médias étrangers croîtra. Voilà pourquoi l’Etat a tout intérêt à sauvegarder le pluralisme médiatique actuel en soutenant des télévisions privées, bien entendu viables, pour que les pauvres ou défavorisés ne soient pas sommés de ne consommer que la télévision officielle qui on le sait, n’attire plus assez de monde.

Pour les télévisions privées, le choix est simple : ou on continue dans la propagande parfois aveuglée et qui énerve les publics et on ne va nulle part, ou alors on s’amande et on avance. Et c’est le plus dure, mais pas l’impossible. Voilà qui rend encore, une fois de plus, indésirable cette TNT qui arrive comme un persécuteur et un bourreau.

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