« Pas de voyelle en Uruund
(Lunda) » ! L’avez-vous déjà entendu ? Notez dès à présent que
cela est faux. Dans cet article, je vous propose de petites astuces qui
changeront votre manière de voir certaines choses. Pour votre information, je
suis né à Lubumbashi, mais j’ai grandi à Kalamba, et vécu à un peu à Musumba dans le territoire de Kapanga. Et j’ai parcouru les 4/5e de ce
territoire. Je connais le Uruund et j’en ai une aisance certaine.
Rompd-point, grand-place "Pibur" à Musumba. Source: Lunda nation/facebook |
Je commencerai par vous dire que les
Aruund (les lunda), sont un peuple plus nombreux reparti sur un territoire
débordant de l’Etat congolais actuel. On le retrouve en Angola, au sud donc du
territoire de Kapanga d’où ils s'étendent au sud-Ouest du Katanga, en Zambie et plus loin, à
l’Ouest de la République démocratique du Congo. Ils appartiennent à l’inoxidable
empire Lunda, un des rares à avoir résisté aux mutations de nos sociétés. Du moins, sur le plan de son sens de « nation ».
Allez-y comprendre que cette diversité territoriale
au sein de l’Empire Lunda ait une incidence sur le Uruund, la langue commune à
tous, mais qui manque à certains et que plusieurs recherchent comme identité
première. Comme pour toutes les langues, le centre de diffusion de Uruund c’est
bien Kapanga, un
territoire de 24.700 km2 voisin des
peuples plus nombreux encore : les Baluba avec qui ils partagent un passé
intéressant, leurs cousins Chokwe,
Minungu, Ndembo, Basanga, etc.), les Kanyoka, etc.
Un
stéréotype : une langue sans voyelle
Il n’existe pas une seule langue qui
puisse se pratiquer sans les voyelles. Celle-ci permettent en réalité de
composer, de créer des mots et de les pratiquer : écrire, lire, prononcer.
« Walankany » (Bonjour, bon réveil). Il y a au moins 3 voyelles dans
cette salutation : dès lors, le Uruund ne peut pas être une langue sans
voyelle. C’est une absurdité, à la limite, que d’affirmer qu’une
langue n’ait pas de voyelles.
Les
voyelles dans le Uruund
Le parler ordinaire des Aruund donne
l’impression de ne pas porter de voyelles à la fin des mots. C’est au moins
l’impression qu’il donne à ceux qui ne pratiquent pas cette langue. En plus, il
y a énormément des mots qui ont des consonnes comme finales. Sans voyelle
finale :
- Ipal : vieux, vielle
- Kananapij : vieillard
- Moy : salut, salutation
- Kwez : venir
- Kubudik : sortir
- Kwandam : entrer
- Yay : grand, grande (frère, sœur)
- Kapang : le nom du territoire dit de Kapanga et du village de ce nom
- Musumb : ville, cité… nom de la capitale de l’empire Lunda. Les étrangers lui donnent « a » final, pas les Aruund eux-mêmes ! Etc.
Mais ceci ne fait pas de cette langue,
une qui soit sans finale marquée par des voyelles. Dans la conjugaison, dans le
parler ordinaire, lorsqu’on chante ou qu’on prosodie …
les voyelles sont là.
Aussi sont-ils légions, les mots qui portent des voyelles comme finales.
- Maku : maman, mère. On ne dit jamais mak… !
- Tatuku : papa, père… jamais tatuk !
- Mantu : oncle
- Kuya : aller
- Muchingela : attends-le, attends-la.
- Mutombu, nom d’une personne et non Mutomb !
- Mwambu différent de Mwamb (Noms des personnes)
- Mwimbu : limite, frontière, Etc.
Une chute sur Rusal, à Kapanga. Source: Lunda nation/facebook |
Explications :
pourquoi alors cette situation ?
Le français, comme d’ailleurs plusieurs
langues, connaissent deux sortes de voyelles en parlant de leur accent ou
plutôt (ce que je me permets moi d’appeler puissance articulaire) : les
voyelles toniques, accentuées, articulées ou fortement appuyées dans la
prononciation. Et, les voyelles atones, sourdes, peu articulées et de ce fait,
peu remarquables par ceux qui ne connaissent pas la langue ou n’ont pas
d’oreilles linguistiques.
Le Uruund, en parlant de sa supposée
« déficience » de finale marquée par des voyelles, se trouve
exactement dans la seconde catégorie.
Dans Tatuku (père, papa), il n’y a que
deux syllabes fortement articulées : [ta-tu-] le [ku] est sourd, mais
prononcé, pas appuyé toutefois. C’est un peu comme dans « comme » en français.
On prononce [kom] sauf lorsqu’il faut marquer une emphase, en poésie par
exemple ou pour une certaine harmonie, on ira alors jusqu’à [kom-mә]. Cela
arrive aussi, mais c’est rare que l’on prononce le "ku" dans tatuku. Ce n’est pas
pour autant que ce mot devient sans voyelle à la fin.
« Mutomb ». Après avoir
parcouru tout Kapanga, je ne me rappelle pas avoir rencontré quelqu’un qu’on
appelle « Mutomb »… il y beaucoup de « Mutombu », avec un
« u » non appuyé, à la fin. Ce « u » étant sourd. Par
panurgisme, quelqu’un qui croyait connaître le Uruund m’apostrophait un jour
après avoir remarqué que j’avais écrit « Mutombu », le nom d’un de
mes frères : « je pensais que
tu connaissais le ruund (Uruund) ». « Eh alors? », ai-je
répondu. « Il n’y a pas de U à
Mutombu, c’est Mutomb », fit-il sûr de lui.
J’ai répondu alors : « j’accepte que quelqu’un s’appelle
Mutomb, c’est son droit le plus légitime. Libre à lui de s’identifier ou non à
une communauté donnée. Mais en Uruund, Mutombu porte un U à la fin. »
La discussion était longue. Heureusement, il venait d’étudier son cours de
linguistique auquel je l’ai vite renvoyé. A Kanitshin, par exemple, et c’est de
plus en plus adopté par plusieurs personnes parmi les Aruund, pour marquer le
faible accent de U à la fin de ce nom, on le remplace par un W que l’on
prononce comme U : Mutombw !
Décomplexez-vous
Certains préjugés ou stéréotypes, à
force d’être répétés, passent pour des normalités. En réalité, c’est prendre
des vessies pour des lanternes. Le Uruund connaît des mutations, on ne refuse
pas que désormais des Mutomb et Mutombu existent comme noms des personnes. Mais
ce qui reste réel est que dans le patrimoine culturel lunda, des Aruund, il y a
un « u » à la fin de ce nom. Si chez Katomb, il n’y a rien comme chez
Makal, chez Nawej, chez Chibal, Nguz, Kapend, Mushid, Mbaz, Yav… le U attaché à
ce nom désigne non une personne, mais renvoie exclusivement à la «chique (un
insecte qui se glisse dans l’épiderme chez l’homme) : katombu. Chez Mwambu, le U marque la différence avec le Mwamb, un nom qui existe. Maku, mère, maman est différent de mak
(lèpre ou l’onomatopée mak ! qui appelle un coup qui s’abat sur un corps ou
espace. « Mak, wamubul nfimbu :
mak, il l’a fouetté !). Mbumb,
nom d’une personne est différent de Mbumbu
qui désigne une larve qui se forme dans un grain de maïs ou dans son épi et qui
sert d’appât pour la pêche. Même chose pour Mulombu, nom d’une personne et Mulomb, un poisson (silure).
Vous savez désormais que certains noms
portent des voyelles à la fin, en Uruund. Mais d’où vient que cette confusion
se généralise qu’il n’y a pas de voyelle, même pour des exemples ci-haut
portés ?
La
part des parents et des plus âgés
Les parents de Mwambu, né à Lubumbashi par exemple,
qui savent bien que la finale de ce nom c’est un U. Je parle de ceux qui
savent lire, le cas d’une famille que je connais bien. Le Mwambu ayant été endoctriné, qu’il n’y a pas
de voyelle aux noms des gens de sa « tribu », comme le concept tribu est
fort à la mode ce dernier temps au Katanga, il s’appelle Mwamb. La difficulté
viendra un jour, c’est peut-être peu probable, lorsque le jeune Mwamb croisera
un parent resté à Kapanga et à qui il se présentera comme tel. Celui-ci lui
dira « chez nous, il n’y a pas des Mwamb, mais Mwambu. » Autrement,
il sera en face de quelqu’un prêt à le renier. Car en effet, le nom est une
identité et l’identité est sacrée et fait l’homme.
Si par exemple, les amis de Mwambu qui sait que son nom porte un U
l’appellent Mwambû ou Mwambou (même cas pour un Mutombu qui serait appelé Mutombou) en appuyant sur le U, si ses
parents lui ont dit comment ce son se prononce, il dira à ses copains
Swahiliphones, c’est Mwambu, le U
étant pareil à me dans « com-me ».
Rien
d’anormal
Il existe dans plusieurs autres
communautés congolaises, et même à travers le monde, des personnes qui portent
des noms sans voyelles finales. Qu’un Karuund (un Lunda ou Ruund) n’en ait pas, rien
d’anormal. Encore que cet article vient de vous démontrer qu’il y a des noms qui
portent des voyelles finales en Uruund et chez les Aruund.
Chez les frères Baluba avec qui nous
avons un beau passé, il y a des Nday, Mukalay, Ngoy, Chilay… comme chez les
Aruund. On trouve les Chibang, Chiband,… chez les Kanyok. En France on a Lepen,
Harnold chez les américains et Cheng en Chine et Sakharov en Europe de l’est.
Merci à vous.
Voilà un bon professeur : maître de sa langue et de sa matière, méthodique, véridique avec des exemples patents
RépondreSupprimerMerci pour ces mots gentils
SupprimerComment vous trouver cher professeur j'ai des difficultés à parler notre dialect
RépondreSupprimerwaw! Merci beaucoup. Je suis flatté. vous pouvez m'écrire à didiermakal@gmail.com
SupprimerBonjour Mr, j'élabore un travail et j'aimerais le mot SÉCURITÉ en ruund.
RépondreSupprimerMerci
En fait j'aimerais connaître la traduction du mot SÉCURITÉ en ruund
RépondreSupprimerMes sincères félicitations,un article très riche.
RépondreSupprimerJe vous en prie.
RépondreSupprimerKarombu, musangar ukash
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cet article! j'ai appris beaucoup des choses en ce quelques lignes seulement monsieur, j'aimerais bien apprendre à parler ma dialecte.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ces éclaircissements qui démontrent la beauté et les subtilités de notre patrimoine linguistique.
RépondreSupprimerWesh. Quelles rarissime informations qu'on peut trouver sur la toile....
RépondreSupprimerJe cherche un cours en ligne de ruund. Qui peut m'aider.
RépondreSupprimerVos explications me rendent fière des mes origines, merci donc!
RépondreSupprimerJe suis vraiment contente de connaître notre histoire
RépondreSupprimerVraiment merci professeur pour votre apprentissage .