Où le nouveau découpage des provinces suscite méfiance en RDC

Après le sénat, l’assemblée nationale a fini l’examen de la loi sur le découpage territorial annoncé par la constitution. Une vielle recette de 1963 que les pères de l’indépendance ont dû vite remettre au frigo. Le morceau est aujourd’hui fort congelé, glacé même. Mais le voici à table. Aiguisez donc vos dents.
Comme si l’histoire tournait en rond !
Carte de la RDC. Source: rfi.fr

La RDC devrait donc passer de 11 à 26 provinces. Il ne reste plus que passer à l’acte, en deux phases, précise une loi secondaire votée le même jour, le 9 janvier 2015. La première devrait concerner Kinshasa, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema, etc. La seconde, le reste des provinces. On y va. Mais les craintes sont nombreuses. La première porte sur le manque de préparation. Alors, le risque de finir comme par le passé est à redouter.
Pas du tout de préparation
La constitution du 18 février 2006 donne 36 mois dès sa promulgation, pour passer aux 26 provinces. Durant cette période, tout devait être prêt : environnement législatif que l’on n’a pas
complètement achevé 9 ans après ; les infrastructures devant abriter les nouvelles institutions (gouvernorat de province, gouvernements provinciaux et assemblées provinciale, administration, etc.), le budget national incapable de supporter le coût de la préparation matérielle ou logistique.
Les gouvernements provinciaux, selon la constitution, prévoit de ne pas dépasser 10 ministères. Pour les futures provinces, on aura 260 ministres provinciaux, plus environ 50 au gouvernement central, 500 députés nationaux, environ 250 sénateurs, et plus d’un millier de députés provinciaux. Je ne compte pas des dirigeants de l’administration publique, de la police, de l’armée, etc. Bref, rien que pour ces institutions, un budget de misère de près de 9 milliards de dollars ne pourrait suffire. Encore que, d’après une ONG citée par radiookapi.net, le fonctionnement des institutions absorbe 60% des dépenses budgétaires !
Déjà aujourd’hui l’Etat peine à mobiliser plus de recettes. Qu’est-ce qui rassure que les provinces y arriveront ? Rien du tout ! On risque de peser davantage sur la population pauvre avec une fiscalité qui peut à la longue, déboucher sur des mouvements sociaux. La fraude et le détournement dénoncés par le FMI restent toujours difficiles d’être jugulés. Je vois donc mal que ce que l’on n’a pas pu réaliser en 9 ans soit possible en deux ou trois, avec un  si minuscule budget.
Les tensions internes
Déjà, ce découpage porte en lui les germes de fugacité et des conflits. L’assemblée a tenté de retarder de trancher sur deux entités qui posent problème : Sankuru au Kasaï et Kolwezi au Katanga. A propos de Kolwezi, il y a même eu un mort et des blessés, cela fait un peu plus de deux semaines, au cours d’une manifestation en faveur de l’érection du district urbano-rural de Kolwezi en province. Un leader politique, Vano Kiboko, est actuellement en prison.
Déjà, Antoine Gabriel Kyungu wa Kumwanza (un leader politique katangais) annonçait que « Le Katanga n’est pas encore prêt pour le découpage territorial. » Lundi dernier, il est revenu à la charge, cette fois, pour initier une pétition contre le découpage territorial. Pour quel résultat ?
Des fins politiciennes
Le processus de décentralisation et de mise en place de nouvelles provinces semble irréversible, Joseph Kabila l’a dit récemment lors de son adresse aux notables katangais. Cela est inscrit dans la constitution et personne parmi les opposés au processus, n’a à ce jour entrepris une démarche démocratique pour tenter de faire entendre sa voix.
Mais il reste néanmoins à savoir pourquoi avancer dans un tel flou. Pourquoi marcher de manière assez analogue à celle de ceux qui ont échoué dans le même projet (les provincettes de 1963)? Christophe RIGAUD fait remarquer dans un intéressant billet que :
« Le futur texte sur la régionalisation qui doit être (normalement) débattu en janvier risque de se heurter à un réalisme cruel, qui fait de la République démocratique du Congo, en conflit permanent depuis 20 ans, une sorte de « Far-West » africain, qui peine déjà à asseoir un semblant d’autorité sur son territoire. »

Plutôt que d’accélérer un découpage territorial qui risque d’attiser les tensions, il est urgent de résoudre des questions brulantes d’actualité. La CENI est presque bloquée à ce jour, parce le parlement doit revoir la loi électorale qui divise pouvoir et opposition. Entre-temps, on s’approche des élections de 2016 que plusieurs ne voudraient pas voir reporter. Malheureusement, la politique a toujours le dessus sur le réalisme, même si c’est pour aller droit vers un échec.

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