CHEZ NOUS, C’EST … LA FAÇADE QUI INTERESSE



Situation humanitaire dans le Nord-Katanga. Source: OCHA.
Le Katanga riche, c’est finalement une fable. Difficile de trouver un lien entre la trop grande pauvreté dans laquelle baigne la majeure partie de la population et la renommée mondiale de cette richesse. A Kolwezi, à Likasi, à Lubumbashi, mieux partout où l’on exploite les minerais, or, cobalt ou cuivre, là est la plus grande population en situation difficile. Comment comprendre qu’on vive ainsi alors qu’on dort au-dessus des richesses ? Chez nous, c’est... la façade qui compte. On construit grand et beau pour en mettre plein les yeux les voisins, et rien du tout pour le peuple. Les routes? On ne les mange pas, surtout qu'elles ne sont pas conduites où on en a le plus besoin!
Le Bureau de Coordination des affaires humanitaires, OCHA, vient de publier un rapport hebdomadaire sur la situation dans le fameux « Polygone de la mort », ex « Triangle de la mort » (la région sous influence des groupes : Manono, Pweto, Mitwaba, Malemba, Kabalo, Moba). La situation humanitaire globale reste très préoccupante. 43.000 personnes se sont à nouveau déplacées depuis janvier 2014 portant ainsi à 543.000 déplacés internes, chiffres recensés au 30 juin dernier par le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires de l'ONU (OCHA). Les May-May, les Bakata Katanga, les FAP et les conflits entre les Pygmées et les Bantous aggravent la crise. Plus de 275.000 enfants sont malnutris, 26.000 d’entre eux ont besoin d’école et n’étudient pas depuis plusieurs années, 140 écoles ayant été détruites, incendiées par les miliciens. Il faut loger ces déplacés, les nourrir, les soigner, les sécuriser.
Tout cela aux frais de la communauté humanitaire qui n’a pour tout que 10 millions d’euros sur les 180 sollicités. Vous vous demandez sans doute pourquoi peu de moyens ? La raison réside peut-être en ceci : « Le Katanga, Triangle de la mort (Polygone) : une crise oubliée ».
Une crise oubliée
Roger Hollo, le chef de bureau du HCR à Lubumbashi a clairement levé l’équivoque alors que je poursuivais avec mes questions pour comprendre comment et pourquoi en mars 2014, la Monusco qui avait déployé un contingent de casques bleus dans l’espoir de protéger la population des groupes armés dans le nord Katanga s’en est retiré en silence 45 jours seulement après. Le Katanga n’est-il pas toujours une crise oubliée ? Demandais-je. « Par qui ? » a rétorqué l’humanitaire. J’ai sans doute eu honte
de ne m’être jamais posé cette question par le passé. C’est clair, le premier qui oublie cette crise c’est le Katangais, le Congolais. Bien entendu, les politiques avant tout. Or, on a passé le temps à crier comme si nous avions moins de responsabilité en matière de notre sécurité que le monde extérieur. Pourquoi cet état de chose ?
Chez nous, c’est … la façade qui intéresse !
43.000 nouveaux déplacés depuis janvier 2014. Source: OCHA
Roger Hollo m’a juste ouvert les yeux. J’ai rougi certes, et je lui ai dit merci, toutefois. En tout cas, tout ce qu’il n’a pas dit avec ses mots c’est que le gouvernement congolais n’a pas été content du déploiement des casques bleus dans la région. Raison pour laquelle son séjour dans la région a été trop court. peut-être parce que la Monusco n'avait pas suivi le protocole exigé, dans un pays souverain! « En matière de sécurité, les responsabilités au niveau de la RDC sont partagées. Le premier responsable de sécurité c’est d’abord la RDC. C’est une question qu’on n’aborde pas avec beaucoup d’aise. Vous savez bien pourquoi ! », a dit Roger Hollo. Il poursuit : « Je pense que c’est important de souligner que l’Etat a un rôle prépondérant à jouer dans ce domaine là qui n’est pas malheureusement joué à la satisfaction de tout le monde (…) la MONUSCO ne peut porter qu’un appui. » Qu’est-ce qu’on entend à la télévision ? L’État a le contrôle de « tout » le territoire national. Donc, pas besoin d’aide. Or, 543.000 personnes vivent en exil sur leur territoire. Tout cela, parce qu’on désire soigner la façade, montrer que ça va bien ici alors qu’en réalité, ça brûle sur tous les plans.
Les évêques du Katanga ont pour la première fois, en début de 2014, dénoncé l’attentisme de Kinshasa dans la résolution du conflit qui fragilise la province depuis plusieurs années. Aucune réaction de Kinshasa. Pendant ce temps, les May-May qui avaient fui la Monusco, sont de retour. Les FARDC y sont en sous-effectifs, la police également ; et toutes deux sont mal équipées. Lorsqu’elles se déplacent à la traque d’un groupe armé, derrière elles, un autre s'installe et les remplace pendant que celui traqué transite par un autre territoire. C’est infernal, ce cycle.
Chez nous c’est… la façade ! 2013, le gouverneur du Katanga réalise un acte mémorable pour la communauté humanitaire en donnant plus de 100 tonnes de maïs pour nourrir les déplacés. Une première, selon Saïdou AMANI d’OCHA pour qui, toute sa carrière, il n’a pas vu pareil geste d’un gouvernant. Le non dit, à travers cet acte, est bien fort : Moïse Katumbi est un dirigeant pas comme les autres ! La nouvelle est parvenue aux bailleurs de fonds convaincus d’ailleurs de la richesse du Katanga. Ils on compris que l’État est bien capable d’aider ses citoyens en détresse. Ce qui reste toutefois largement admissible ! Quoi de plus normal que les fonds destinés aux fins humanitaires soient orientés vers de crises récentes et plus médiatisées : les Kivu, la Centrafrique, etc. D’ailleurs, on a passé le temps à faire voir que le Katanga était une région stable. Or aujourd’hui, il est établi que tous les 22 territoires, les uns comme les autres aussi grands que la Belgique, sont sous menace d’insécurité alimentaire.
Cet acte de « générosité » ou de responsabilité d’un politique est à la limite de la communication. L’homme aurait visé simplement à soigner son image qu’à réellement voler au secours de ses compatriotes. Puisque, celui-là est resté le dernier alors que la situation n’a pas du tout changé. Aussi, puisque chez nous c’est la façade qui intéresse, cette opération aurait énervé certains parmi les chefs du gouverneur eux aussi manifestement en quête de visibilité, mais malheureusement aux mains fermées. On ne saura peut-être jamais si c’est pour cela que Katumbi s’est rétracté avec sa « générosité ».
On construit beau et grand pour impressionner. M3 Didier, 2014
Lorsque vous arrivez à Lubumbashi, vous remarquez assez rapidement qu’il y a de choses qui bougent. De grandes constructions des privés, des routes réhabilitées, d’autres construites,  malheureusement à durée de vie très courte, parfois inférieure à 3 ans. Voilà ce qui peut faire la fierté d’être Katangais. Ailleurs, c’est tout différent. Deux ou trois avenues et un écran géant sur la place publique suffisent. A Kinshasa comme en province, on construit grand, beau pour impressionner. Cela a déjà été vécu par le passé sous le Zaïre avec le REZATELSAT (Réseau zaïrois de télécommunication par satellite) qui a presque servi à rien. Aujourd'hui, aussi louable que cela demeure, l'hôpital du Cinquantenaire est inaccessible pour les congolais moyens. Très peu sont capables de payer 20 USD pour une consultation simple, comme c'est le cas à Kinshasa. La population croupit dans une misère indescriptible d’autant plus qu’avec le boom minier en 2006, au Katanga, et la promesse d’une Johannesburg à Lubumbashi, l’exode rural (même à partir d’autres provinces du pays) a eu pour destination le Katanga, précisément Lubumbashi et Kolwezi.
Le loyer est cher (plus de 20 USD pour un local de 3 mètres sur 4, et cela peut galoper si l’on se rend dans les quartiers urbanisés. Le transport reste cher avec une moyenne de dépenses mensuelles de 20 UDS, alors que très peu sont salariés. Plusieurs ne survivent que grâce à la débrouille. Et pendant ce temps, les minerais sortent tous les jours vers l’étranger. 200 USD c’est un de ces salaires les plus recherchés, et près de 90% de jeunes à l’âge de travailler sont sans emploi. Toutes les Minings réunies, emploient moins de mains d’œuvres et paientmoins bien que la Gécamines du temps où elle était l’unique qui exploitait les minerais. Pour Jean-Pierre MUTEBA de la société civile du Katanga il est impérieux que soient organisés des états généraux sur l’emploi dans la province en vue de corriger ces injustices qui risquent de créer de sérieux problèmes.

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Pourquoi tout cela ?
Chez nous, c’est la façade qui triomphe ! Au Katanga, et cela est un sentiment presque facile à rencontrer chez plusieurs, on paraît fort, riche, intellectuel ! Cela tient à l’histoire de cette province et de ce pays. Le Katanga est une de ces provinces privilégiées par ses richesses minières. Déjà les belges, en avait fait une administration mise à part du reste du pays. Il y a aussi cette sécession de 1961 qui lui a donné le goût d’indépendance, ce goût de grandeur, à la lumière de ses grandes figures politiques toujours présentes dans tous les gouvernements depuis 1960. Alors, c’est malheureusement le culte de l’apparat. Que l’on souffre de l’intérieur (divisions, pauvreté, détournements, …), cela importe peu, pourvu que le Katanga reste influent même si en réalité, ce sont des individus qui priment.
Un creuseur artisanal près de Lubumbashi. Photo M3 Didier, 2014.
Voilà comment on peut comprendre les révoltes assez récurrentes des creuseurs chaque fois délogés des carrières vendues sans sensibilisation à la base, mais qui restent attachés aux terres de leurs aïeux ; les magouilles parfois mortelles des hommes en uniforme qui descendent dans les carrières aux motifs prétendument de sécuriser, mais qui en réalité vont rançonner et finissent parfois par tuer pour obtenir ce qu’ils veulent… Il y a aussi cette colère peinte par l’ancien gouverneur du Katanga Urbain KISULA NGOY. Pour lui, sécession, cela n’est pas dans les mentalités des populations du nord des la province, victimes de leur résistance réprimée dans le sang par le gouvernement CHOMBE à la sécession. Que cette population crie aujourd’hui indépendance du Katanga, c’est un message qui s’explique par la frustration. Pas vraiment la volonté de se retirer du Congo. Une frustration, selon l’ancien gouverneur, de la gestion de la province, d’une redistribution inéquitable des richesses de la province. Certes, Urbain KISULA est critiqué par ses détracteurs sur les réalisations de son mandat, lui qui dénonce une gestion pas bien. Mais il reste que ça voix est de ces rares oiseaux qui n’ont pas chanté pour qu’on leur mette de l’eau dans la bouche.

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